dimanche 2 mai 2010

7. Trafic - Révélation de l'ange Marcel

- Scrute un peu le râtelier du chauffeur. Il a les dents complètement flinguées.
- La belle affaire, s’il pouvait surtout avancer. On va pas rester campés dans ce trafic pendant des heures.
- J’ai bien peur que si, mon pote. Quelle idée de prendre un taxi ! Je t’avais bien dit qu’on aurait dû prendre le métro.
- T’es gonflé mon salaud. J’ai jamais vu une feignasse comme toi et t’oses me faire la leçon… Puis je travaille moi au moins.
- Oh ça va, cow-boy, gribouiller des demi articles dans un torchon… c’est pas non plus ce que j’appelle se tuer à la tâche… Bon Dieu, quelle gueule il se paye le chauffeur. Sérieusement, t’as vu ?
- Hé, t’es vraiment une enflure, je te signale que je me tue à la tâche ! Je me suis tapé vingt bornes aujourd’hui pour aller visiter un salon de l’auto pour un papier à la con que je dois rendre dans deux jours.
- J’imagine que tu les as fait en taxi tes vingt bornes…
- Ferme la, tu m’exaspères.
- Citoyen libre mon président ! Je revendique la liberté de penser ce que je veux et surtout dire ce que je pense.
- Surtout de dire un maximum de conneries !
- Vraiment t’aurais dû t’asseoir devant, le temps t’aurait semblé moins long si t’avais la vue que j’ai sur trogne du chauffeur.
- Fous lui un peu la paix à ce gus.
- Il a dû respirer trop de vapes d’essence ou de gaz, il est difforme chtedis…
- C’est vrai qu’il est pas banal.
- Ah ! Tu vois…
- Ouais ça va, vas-y molo, je crois qu’il commence à comprendre que tu te payes sa tronche.
- Tu viens de me dire qu’il était pas banal le pauvre.
- T’as donc vraiment pas de limite ?
- Une fois je suis resté coincé dans le trafic à Mohandessin pendant près de deux heures avec un chauffeur de taxi qui schlinguait du bec comme personne. Et le mec était sympa, c’est ça le pire, c’est qu’il me causait arabe bien fort et bien lentement avec beaucoup de sincérité dans la voix et en articulant de toute sa mâchoire pour que je comprenne ce qu’il blablatait. Et il me proposait des clopes cléopatra dégueulasses, moi j’acceptais et en retour je lui proposais des L&M. Donc on était là à fumer clopes sur clopes sans avancer d’un poil, je soufflais ma fumée à l’intérieur de la bagnole pour couvrir l’odeur mais rien à faire, ça cognait trop fort. Résultat des courses : quand il m’a lâché à la station de métro où je devais aller, j’avais dû fumer presque un paquet, j’étais complètement défoncé par les vapes de gaz, la fumée et l’odeur fétide du pauvre homme et j’avais sérieusement envie de dégobiller. Mais je pense à ce brave type qui subit ça au quotidien, je veux dire sa propre odeur et ce trafic incessant et ces fumées enveloppantes et la chaleur… Je serais le dernier à jeter la pierre à ces braves qui roulent jour et nuit pour des salaires de miséreux.
- Quelle humanité. C’est presque religieux ce que tu racontes.
- Pas d’amalgame hein cow-boy. Ne viens pas me mettre dans le même sac que les bigots, tu veux. Mais je voudrais que t’aies un peu de considération pour ce gars qui nous emmène à bon port parce que t’as choisi le luxe de ne pas prendre le métro.
- C’est surréaliste ce que tu racontes ! Je n’arrive pas à y croire. Parfois tu te surpasses encore.
- Le ciel n’a pas de limite…
- Ange Marcel, l’auréole au dessus de ta tête frotte le plafond de ce véhicule.
- Je suis de tous les combats, s’ils bénéficient aux malchanceux et aux moins bien lotis. Tu devrais parfois en faire autant. Un jour, inchallah, je t’inspirerai peut-être un peu d’humanité.
- Là, tu m’inspires surtout du dégoût et de la compassion mon pauvre. Je me demande comment on peut être si déconnecté du monde réel.
- C’est ce monde qui n’est pas adapté à moi… Qu’est ce que j’y peux ?...On a rendez-vous à quelle heure pour ce spectacle de derviches ?
- 20h30.
- Et ben c’est pas gagné ! Merci encore.
- Je me demande comment tu finiras…
- Les voies du seigneur sont impénétrables... Te poses pas tant de questions, cow-boy.

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